If it’s a fairytale you’re hoping for, prepare yourself for so much more
Il était une fois un hiver, particulièrement rude dans un pays habitué au règne du froid. Partout, les lacs et rivières s’étaient figés, les plantes s’étaient recouvertes d’un manteau de givre et même les animaux se réfugiaient pour échapper au vent glacial qui amenait des montagnes de neige. Dans les campagnes, la terre ne pouvait plus être cultivée et les paysans restaient bien au chaud, observant la nature au dehors subir le courroux de l’hiver. Un soir s’était fait particulièrement froid, la neige avait envahi les villes emportant avec elle un silence presque magique. Dans les maisons, les veilles femmes prévenaient leurs cadettes, maugréant qu’elles avaient déjà vu la mort se servir d’hiver aussi froid pour emporter les nourrissons. C’était pourtant, dans un petit château de noble qu’une femme était occupée à mettre au monde, criant et gémissant, les joues rouges, les cuisses couvertes de sang. Autour d’elle, deux servantes s’afféraient sous les injonctions d’une sagefemme dont le visage ridé trahissait une longue expérience et également, un certain souci pour la jeune mère. Elle prit le père à part, un homme âgé d’une vingtaine d’année de plus que sa femme. Un peu à l’écart, elle lui expliqua que l’accouchement était difficile et que la mère ne survivrait sans doute pas mais que, l’enfant pouvait encore être sauvé. Une césarienne vint confirmer son pronostic. Une certaine déception pris le père de famille, voyant que sa femme n’avait pas été sacrifiée pour lui offrir un garçon, comme l’avait prédit sa propre mère, mais une petite fille. Le père en question était Harald Bengtsson, descendant d’une longue lignée de chevaliers suédois, anoblit quelques années plus tôt par le roi qui lui donna le nom d’Igelström.
Malgré l’hiver, la petite fille survécut et, son père choisit de lui donner le prénom de sa défunte mère, Rika von Igelström. Elle grandit dans un certain luxe pour l’époque, disposant d’assez de nourriture, de professeurs et de servantes. Son père se remaria bien vite, sa nouvelle femme lui offrant un petit garçon. Enfin un héritier digne de la lignée. Quant à Rika, elle devint la belle jeune fille qu’on attendait qu’elle soit avec une peau blanche comme la neige, des yeux colorés d’un subtile mélange de vert et de bleu, les cheveux dorés encadrant son visage fin. Son père n’éprouva aucune difficulté à lui trouver un mari, les prétendants s’étaient faits très nombreux. Le mariage eut lieu dans un des domaines de son père, en Livonie suédoise l’actuelle Estonie avec un autre noble suédois. Rika était très conciliante et voulait à tout prix éviter d’entrer en conflit avec son père de plus, son mari était dans la bonne moyenne de ce qui se faisait à l’époque et se montrait même doux et conciliant. Rapidement, on attendit d’elle un enfant, un garçon de préférence. Si, contrairement à sa mère, elle survécut à l’accouchement, elle mit également au monde une petite fille. Si beaucoup étaient déçus d’elle, Rika n’en avait que faire. Elle prit toutes les précautions possibles mais, une maladie emporta le petite avant qu’elle n’ait atteint l’âge d’un an. Une malédiction s’empara d’elle. Chaque enfant qu’elle mettait au monde était une fille et aucune ne survécut une année entière. Les murmures se faisaient de plus en plus nombreux, certains l’évitaient, la croyant maudite ou victime d’un maléfice.
Pour fêter son couronnement, le jeune roi vint dans ses territoires éloignés. Lors d’un repas organisé au château, il tomba immédiatement sous les charmes de la noble sans qu’elle n’eût à le chercher. C’est dans une chambre isolée qu’il satisfit ses envies alors que les beaux yeux de Rika étaient plein de larmes. La scène se déroula sous le regard atterré d’une des servantes du château. Ce fut cette même femme qui cria neuf mois plus tard :
« Le maître n’est pas le père de cet enfant ! C’est le roi ! »
La peur tordit le visage de porcelaine de Rika alors qu’elle serrait le nouveau-né contre sa poitrine. Pour la première fois, elle avait donné la vie à un petit garçon.
« Cette souillon a été séduire le roi, elle n’a pas respecté son mari. Cet enfant est un bâtard »
Les larmes de la jeune mère servirent d’aveu et rien de ce qu’elle put dire ne lui évita la honte et le déshonneur. Son mari refusa de la voir et la rumeur se répandit jusqu’à traverser la mer et arriver à Stockholm, au palais plus précisément. Le jeune roi était intéressé par l’idée d’un héritier mais un bâtard n’était pas le bienvenu au palais il lui fallait épouser sa belle conquête. Beaucoup des problèmes de l’époque se réglaient par le meurtre et, celui-ci ne fut pas une exception. Le mari offensé fut empoisonné dans les semaines qui suivirent et les voix dans l’ombre accusèrent Rika. Les rumeurs se firent encore plus acérées quand on lui reprocha d’avoir également assassiné ses filles. La vie en Livonie suédoise devint tellement difficile pour elle que quand on l’invita à Stockholm elle accepta, profitant de l’occasion de fuir un temps ses terres, emportant avec elle l’enfant qui avait causé tous ses malheurs. Ce garçon, Rika n’arrivait pas à l’aimer. Il était le symbole de sa ruine de plus, à chaque fois qu’elle posait les yeux sur lui, elle revoyait sa conception.
De retour à Stockholm, sa ville de naissance elle fut bien évidemment conviée chez le roi. Tout le monde remarqua la ressemblance entre le rejeton et le monarque ainsi que le regard fuyant de la jolie blonde. Après quelques semaines, le mariage fut prononcé, comme souvent Rika ne dit rien, le silence restait l’unique témoin de ses desseins encore réduits à l’état d’idées inavouables. La vie de reine plaisait à Rika. Depuis la chambre à coucher elle avait tout le pouvoir sur le roi réduit à l’état primaire d’un enfant entre les cuisses d’une femme. Elle lui disait comment régner, comment gérer ses armées. La belle reine n’avait plus rien avoir avec la jeune fille craintive qu’il avait enfantée comme si l’or de la couronne avait donné à un relief à ses plus noirs désirs. Un peu plus d’une année après, elle connut encore un accouchement. Comme si le passé la rattrapait, c’était une petite fille qui poussa ses premiers cris. La peur saisit la reine au ventre, la peur de voir encore une fois sa fille être dénigrée.
« Ce n’est pas grave Rika, tu m’as déjà donné un garçon. Ta fille héritera de ta beauté et trouvera un bon mari »
Le roi n’eut aucune réponse mais le regard de sa femme s’obscurcit encore un peu ainsi que son cœur. Dans les jours qui suivirent, elle prit un grand soin de sa fille qu’elle nomma Rebecka. Quant à son fils, elle ne lui adressa même plus un regard, le laissant au soin des servantes et des professeurs maintenant qu’il commençait à prendre de l’âge. Furieuse de voir sa fille délaissée alors que le prince était au cœur de toutes les discussions, elle prit une décision qui la changea à jamais. Un sac de pièce d’or suffit à convaincre un des hommes d’écurie d’emmener le jeune prince en balade dans les bois. Dans les jours qui suivirent, tous les domestiques étaient à la recherche du petit garçon et ce fut une servante éplorée qui ramena son corps à jamais glacé, déchiqueté par les loups. Le deuil fut déclaré dans toute la capitale sous le regard indifférent de la reine, gardant contre sa poitrine sa jeune princesse. L’on retrouva l’homme d’écurie mort quelques semaines plus tard. Nul ne compris qu’il lui fallait emporter le secret de sa mission dans sa tombe.
Rika éleva sa fille avec le plus grand soin, refusant qu’elle soit ne serait-ce que touchée par les servantes. Elle lui apprit très tôt à lire, écrire, se tenir et chargea aussi un de ses hommes de lui apprendre à manier les armes, certaine que ça lui servirait un jour. Les hommes les plus fidèles du roi étaient devenus ceux de la reine, soumis à sa grande beauté et à sa puissance manifeste. Tous ceux qui étaient intimes de la couronne savaient qu’aucune décision ne se prenait sans le regard glacial de Rika. Plus les mois passaient, plus la reine se lassait de son roi qui commençait à se montrer dissident et méfiant. Une nuit, dans leur chambre à coucher, elle sortit de sous sa robe un long poignard et posa la lame froide sur la gorge du vieux roi, celui-ci se réveilla, paniqué.
Sensuellement, elle vint souffler à son oreille :
«
C’est moi qui ai fait assassiné ton fils, ce bâtard »
Elle ne le laissa pas répondre, appuyant un peu sur la lame faisant couler quelques gouttes de sang. Un sourire satisfait éclairait son visage de porcelaine.
«
La peur qu’il y eût dans mes yeux lors de notre première rencontre est maintenant dans les tiens. Comme la vie fait bien les choses »
Elle saisit la lame à deux mains et la planta dans le cœur du roi à maintes et maintes reprises, extériorisant toute sa haine et sa rage. Le lit se tâchait de sang et la reine continuait le massacre avec une férocité qu’on ne lui soupçonnait pas alors que toute étincelle de vie avait déjà quitté le regard à jamais figé de son époux. Lorsqu’elle se calma, elle se leva, sa longue robe blanche était tâchée de sang tout comme sa belle chevelure dorée. Sous les rayons de la lune qui pénétraient dans la pièce, elle avait l’allure fantomatique d’une femme bafouée savourant sa vengeance. Elle frappa trois fois à la porte et le chef de ses hommes de mains entra suivit par deux autres hommes tout à fait costauds qui emportèrent le cadavre loin des regards indiscrets.
Dès le lendemain, la mort du roi fut annoncée et la reine prit son royaume dans une poigne d’acier ne laissant personne douter de son pouvoir. Elle gardait toujours sa fille près d’elle, jamais elle n’échappait à son regard. La princesse grandit en voyant la peur dans le regard de ceux qui s’adressaient à sa mère. Pour les plus chanceux, c’était de l’admiration. Rika savait régner, choisir ses fidèles et éliminer tous ceux qui lui faisaient éprouver le moindre doute. De tout son règne, jamais aucun roi ne vint lui faire de l’ombre, la sienne s’étendant sur tout le royaume.
Rebecka pris la succession lorsque sa mère fut emportée par une maladie. Les enfers accueillirent donc la méchante reine pendant plusieurs siècles. Même dans cet endroit et, entouré de ce que l’humanité avait porté de pire, elle réussit à asseoir à certain pouvoir. Ce ne fut qu’en 2011 qu’elle s’échappa, profitant de la tuerie de massage en Norvège pour traverser le passage entre les Enfers et le monde des mortels. Ce monde moderne ne lui plaisait pas mais, sa nouvelle condition de démone était bien plus agréable. De nombreux projets avaient muris dans les méandres de son esprit mais, sa première priorité était de retrouver sa descendance. Elle voulait savoir ce qui était arrivé à sa fille après sa mort et se demandait pourquoi elle ne l’avait pas rejointe dans les Enfers. Elle passa ce temps en Estonie dans les terres de sa famille, n’ayant aucune difficulté à prendre l’identité d’une lointaine cousine disparue. Elle n’était pas satisfaite d’apprendre que les Igelström s’étaient illustrés au service de l’empire russe mais, ne dit jamais un mot, le silence était gardien de ses sombres pensées. Elle se servit de ces quelques années pour rattraper son retard centenaire et apprendre à mieux connaître ce monde si étrange.