Moi je voulais sortir de là. Errer, comme toi, au milieu de la foule, jauger les gens, les dépasser,
vivre un peu en dehors de mon petit bloc de glace. Ton reflet, t'en as jamais eu aussi peur, je fais cet effet sur les gens. J'ai tout calculé, du début jusqu'à la fin, et je t'avoue que je suis du genre à profiter du moment, celui où tu te rends comptes que t'es fini, et où je te montre à quel point je te suis supérieur. T'es pas mon premier, Cas', tu seras pas le dernier. Ce qui me débecte, ce sont tes sentiments, ceux qui te rendent aussi faibles. L'amour, le besoin de reconnaissance, toi aussi t'étais épris de liberté mais t'as jamais rien fait pour l'obtenir. C'est là où on est différents, toi et moi. ça et tellement d'autres choses. Tu te fais écraser par les gens comme moi, tu te bats pas, tu subis. T'as fini de subir, t'en fais pas, j't'ai privé de ce droit. Pour le moment, c'est moi qui contrôle. Ta vie, tes potes,
tes ennemis ... Ils sont tous là à portée de main. Moi j'aime ça, et tu le croiras peut-être pas, mais je suis pas mal doué pour me faire apprécier. Bientôt, ils t'auront oublié, et je serais devenu toi. Sans la faiblesse. Faut avouer que tu fais partie des brebis, tu sais celle que les gens comme moi peuvent bouffer en un quart de secondes. Mais ta vie, elle en vaut bien une autre, alors je l'ai prise. Parce que c'est mon truc, prendre ce qui me plaît sans me soucier de ce que pensent les autres. Je veux du pouvoir, je veux la vengeance, et surtout, je veux libérer les miens. ça sera terrible, tu sais, quand ils seront dehors. Ce sera drôle. Toi t'étais incertain, tu savais pas où t'allait, je me contente de donner à ton corps une direction. C'est trop tard pour me remercier, remarque. Toi t'espères qu'on voit que t'as disparu, mais moi je le sais, au fond, tu sais que ça arrivera pas, parce que t'étais invisible, t'étais un jouet influençable aux mains de tout le monde. Ils remarqueront même pas la différence avant que je les élimine de mon chemin. Mais je t'ai choisi pour quelque chose, quand même. T'as une belle gueule,
tu aurais pu faire avaler n'importe quoi à n'importe qui si tu t'étais donné la peine. Moi je vais me la donner. Les humains, ils me mangeront dans les mains avant d'être étranglées par elles. Métaphoriquement parlant. Je suis pas quelqu'un de bien, crois pas que tes proches en sortiront indemnes.

J'ai eu plusieurs vies. Aucune ne m'a réellement convenue, j'ai toujours fini par retourner d'où je venais. Cet endroit que je détestais, que je haïssais même. Cet autre monde, ce monde inversé, plus étroit, plus limité. J'ai toujours rêvé de grandeur, de vengeance. On nous a trahi, envoyé là par peur,
par dégoût. Le dégoût, je le ressens pour eux aussi, ne vous en faites pas. La différence a toujours effrayé et si je devais donner un but à ma vie, ce serait bien celui de leur donner raison sur cette peur qu'ils ont de nous. En nous enfermant, ils ont dû se dire que l'on ne pourrait jamais s'élever, jamais se rebeller contre le monde. Parce que ça demande de l'unification pas vrai? Ils ne savent pas vraiment à quoi s'attendre. Qui j'ai été n'a aucune importance. Je ne me définis pas par qui je fus mais ce que je suis ou ce que je tends à être. Si je suis là aujourd'hui, c'est bien parce que les visages que j'ai arboré ne me conviennent plus. Trop faibles. Ce mot semble caractériser l'espèce humaine entière mais je n'ai pas encore perdu espoir de trouver la perle qui me mènera là où je veux aller. Je ne dis pas que je ne suis personne. Je dis seulement que je suis tous ceux à qui j'emprunte une identité. Je les copie jusqu'à ressentir ce qu'ils ressentent, voir ce qu'ils voient, aimer ceux qu'ils aiment. Avec assez d'énergie,
leur souvenirs finissent par devenir miens. Je me confonds en eux, sans pour autant oublier qui je suis. C'est un danger que beaucoup de mes condisciples ont du mal à surmonter, pourtant. Peut-être n'ont-ils pas assez de conviction. Je n'en sais rien. Toujours est-il qu'aujourd'hui, je me définis comme Castiel se définissait. Un fils héritier, qui n'a jamais vécu que dans la peur des représailles de son père, que par ses ordres. Il en a une peur bleue, une souffrance enfouie, aidée par les marques sur son corps, les bleus qui démontrent la raison pour laquelle il n'a jamais rien pu y faire. On a voulu le marier de force à un bon parti, il s'en est échappé, pas de son fait, mais de celle qui s'est sentie piégée tout autant que lui. Elle a osé taper du poing sur la table, et il ne l'en remerciera jamais assez. Castiel n'a jamais voulu faire carrière dans le pharmaceutique. Lui, c'était un artiste, si on peut dire. Mais qu'est ce que l'art dans une famille qui ne jure que par l'argent? Alors il a étouffé son rêve et a suivi son paternel. Evident. Je ne peux que le saluer pour cela, un musicien raté, ça ne m'apporterait rien. Contrôler comment évoluent les maladies humaines m'intéresse beaucoup plus. Castiel, il a une soeur. Il ferait tout pour elle comme elle aurait tout fait pour lui. La seule branche qui l'empêchait d'avaler les pilules qu'il vendait à prix d'or. Il est tourmenté, Castiel, a du mal à faire des choix, à résister aux tentations qui s'offrent à lui. Il se contient alors qu'il aurait pu être tellement plus. Populaire au lycée et à l'université, il a toujours été celui vers qui on se tournait pour se faire un nom. Les O'Dwyer... Ils sont plutôt renommés par ici. Pourtant, il en a jamais vraiment profité. Such a shame.

C'est pour cela que je lui ai pris sa vie. Parce qu'il n'a jamais su l'utiliser. Moi si.